Les Black Dragons, le Gang afro-parisien qui a combattu les Skinheads et le racisme dans les années 80
En France, peu de noirs osent se regrouper dans des organisations, ne sentant pas la nécessité de s’ostraciser davantage, dans un pays qui a manifestement du mal avec tout ce qui n’est pas d’origine caucasienne. Cependant, quelques groupuscules noirs (que certains qualifient de Punks noirs) ont émergé au début des années 80.
En effet, l’un des gangs les plus marquants dans l’histoire de la France des années 80 et en provenance de la communauté noire de cette époque, se nomme les “Black Dragons”, un crew uni par une volonté de lutter contre les Skinheads néo-nazis, et un fort sentiment d’appartenance à la banlieue parisienne.
Les Black Dragons sont une bande anti-fasciste formée dans les années 80 dans la banlieue parisienne nord-ouest, inspirée de la branche afro-américaine fondée fin des années 70 et fortement influencée par le Black Panthers Party.
Ces premières « chasses » anti-skins coïncident avec l’éveil de la jeunesse française à la « conscience Black ».
Au cours des années 80, le racisme et les attaques xénophobes sont à leur paroxysme avec la montée du parti d’extrême droite, Le Front National, ainsi que les groupes de Skinheads comme les Boneheads, le GUD (Groupe Union Défense), organisation étudiante française d’extrême droite réputée pour ses actions violentes et qui a notamment compté dans ses rangs l’ancien Ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, ou encore le PNFE (Parti Nationaliste Français et Européen) dont la devise est « France d’abord ! Blanche toujours ! ».
Les Skinheads patrouillent les quartiers parisiens spécifiques, en particulier les Halles, et attaquent, entre autres, les passants trop “basanés” à leur goût. Ils agressent également le public lors des concerts de punk. En 1983, les Skinheads lancent une de leurs attaques les plus horribles : « la chasse aux Beurs » (autrement appelée “ratonnade”) qui entraînera la mort de 23 personnes.
Les Black Dragons et leur lutte contre les Skinheads dans les années 80
Constatant l’immobilisme des autorités françaises et de la police qui ne fait rien pour les protéger, des bandes anti-fascistes apparaissent alors. Il s’agit des Ducky Boys puis, plus tard, les Red Warriors (Redskins), issus des mouvements punk d’extrême gauche. Ces derniers pourchassent les groupes de Skinheads armés de battes de base-ball, coups de poing américains et gaz lacrymogènes.
Suite à la “chasse aux beurs”, un jeune homme dénommé Yves “Le Vent”, crée la branche française des Black Dragons en 1983. À leur apogée, les Black Dragons rassemblent entre 600 à 1000 membres dont la plupart sont passionnés d’arts martiaux. Contrairement aux autres groupes “antifa”, les Black Dragons sont essentiellement constitués de Noirs.
Leurs membres, Noirs et Arabes, sont issus de la deuxième génération d’enfants de migrants installée des banlieues françaises. Ils se considèrent comme français mais sont confrontés au racisme dans “leurs rues”et “leurs quartiers”.
Invisibles dans un pays qui ne semble pas se préoccuper d’eux et en l’absence de représentations (positives) dans les médias, ces jeunes s’engagent et prêtent allégeance à des groupes comme les Black Dragons qui leur donnent “une maison et un but”. Ces jeunes ont conscience du racisme institutionnel inhérent à l’establishment français mais, leur principale préoccupation concerne les attaques racistes quotidiennes dont les Noirs et les Arabes sont victimes.
La chasse aux Skinheads est pour eux, bien plus qu’une petite vengeance : elle est nécessaire !
Dans J’étais un Black Dragon – Histoire d’un militant noir en France, autobiographie écrite par Patrick Lonoh aka Docteur Clean, Black Dragon de la première heure, ce dernier retrace le fonctionnement interne du mouvement ainsi que la solidarité qui caractérise cette communauté.
Dans un premier temps identifiables par leurs blousons (bombers) et leurs Dr. Martens, uniforme ouvertement “emprunté” à leurs rivaux après avoir remporté des combats (tenue vestimentaire qui évoluera avec l’arrivée du mouvement hip-hop), les Black Dragons créent un espace alternatif politisé pour mettre fin à la terreur répandue par les Skinheads. Ils sont soutenus par le mouvement anti-racisme nouvellement créé : SOS Racisme.
Leurs territoires sont principalement le quartier de La Défense et une partie des Hauts-de-Seine dans le 92, mais le gang bifurque régulièrement vers le Forum des Halles, endroit où on joue des coudes et des poings et où les nez se “dessoudent”, notamment avec les Batskin fondés et dirigés par le militant d’extrême-droite Serge Ayoub.
“… Les Black Dragons ont créé un espace politisé alternatif afin de mettre un terme à la terreur répandue par des Skinheads”
Une branche des Blacks Dragons appelée “Miss Black Dragons” est entièrement dédiée aux femmes membres du gang. Celles-ci luttent contre d’autres groupes de Skinheads eux aussi constitués de femmes.
La musique était aussi une composante du mouvement : des groupes de musique ska et punk français politiquement conscients comme les Bérurier Noir, La Souris Déglinguée, et Laid Thénardier encouragent leurs fans à se lever contre les Skinheads et embauchent des groupes “antifa” pour assurer la sécurité durant leurs concerts.
À la fin des années 80, la musique hip-hop prend le pas sur la musique punk et on assiste au déclin des groupes de Skinheads. Des gangs constitués de Noirs appelés “Zoulous”, voient de plus en plus le jour, comme les Mendys et les Requins, inspirés de la Zulu Nation fondée par Afrika Bambaataa, l’un des créateurs du mouvement hip-hop. L’apparition de ces nouveaux gangs conduit inévitablement à de très fortes rivalités entre ces derniers.
Les Black Dragons sont par la force des choses considérés comme étant un gang violent et deviennent l’objet de multiples controverses.
En effet, avec la “relève”, la nouvelle génération des Black Dragons rebaptisée Black Dragons Juniors, les déboires judiciaires s’enchaînent et viennent ternir leur réputation, égratignant, au passage, les actions honorables menées précédemment par leurs aînés. Dans le milieu des années 90, une rixe brutale entre les Black Dragons Juniors et le gang rival des Mendys, conduit à la mort de l’un de leurs membres, Oumar Touré, et dix membres des BDJ sont, par ailleurs, accusés d’agressions sexuelles sur une jeune femme. Cette guerre des gangs entraîne finalement la dissolution des BDJ, en prise avec la justice.
Les ex-membres des Black Dragons, désormais âgés d’une cinquantaine d’années pour la plupart, sont parvenus à maintenir des liens étroits entre eux. Le gang légendaire a bel et bien mis fin aux agressions perpétrées par les Skinheads sur les populations dites “racisées” dans les années 80-90, cependant le racisme et la xénophobie connaissent, depuis quelques années, une hausse considérable dans le paysage français…
