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Pourquoi Consommer Noir ?

par Jennifer

2 juin 2024

Quand on parle de consommer noir, il y a souvent deux catégories de personnes : celles pour qui cela a toujours été une évidence et celles qui ont dû apprendre à le faire (pour beaucoup, ce fût quelque part entre 2020 et 2021, au moment où le mouvement Black Lives Matter était en plein essor).

Dans la première team il y a 2, voire 3 courants : 

Le courant de ceux qui consomment noir envers et contre tout, peu importe la qualité. Un  deuxième courant plus nuancé qui, lui, achète chez sa communauté en premier lieu, à condition bien entendu, que la qualité suive (à juste titre). Et le troisième courant, plus exigeant  avec sa communauté parce qu’ attendant d’elle qu’elle casse les codes de médiocrité dans lesquelles on voudrait l’inscrire.

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, je me suis demandée par quel bout le prendre et si je devais vraiment mettre un coup de pied dans la fourmilière ? Mais la question ne s’est pas posée longtemps. Disclaimer : je foncerai dans la fourmilière et parlerai surtout des « petits entrepreneurs » noirs et non des mastodontes des grandes entreprises tenues par des Noirs. 

Consommer noir : en attendre plus, en attendre moins ou ne s’attendre à rien… en particulier ? 

Personnellement, lorsque je consomme noir, je n’en attends ni plus ni moins qu’ailleurs. Je m’attends à un bon produit ou service et je suis de la team de ceux pour qui c’est une évidence d’investir d’abord dans la communauté.

Pour illustrer cela, je pense au personnage de Chimamanda Ngozi Adichie, dans son roman « L’autre moitié du soleil ». Lorsque celui-ci regardait une émission ou un jeu télévisé, il soutenait dans l’ordre : les femmes noires, puis les hommes noirs, puis les femmes non noires et enfin les hommes non noirs. La lecture de ce passage a beaucoup fait écho en moi car sans même le conscientiser, j’ai toujours fonctionné ainsi. 

Cela étant, je ne blâme pas les personnes qui n’ont commencé à consommer noir que lorsque le sujet a été porté à leur attention. L’adage ne dit-il pas qu’il vaut mieux tard que jamais ? 

Consommer noir, c’est savoir qu’on permet à quelqu’un de la communauté de créer, de s’en sortir ou de pouvoir vivre de sa passion.  Quand on « donne » son argent à quelqu’un de sa communauté, on sait qu’on crée ou pérennise un emploi ; on permet à une femme ou à un homme de vivre de son activité, à un parent d’offrir le meilleur à ses enfants, etc. Alors pourquoi s’attendre à plus ou à moins ?  

Je n’ai jamais compris ceux qui étaient plus « exigeants » avec leur propre communauté. La société nous rappelle sans cesse que nous, Noirs, devons travailler deux fois plus et on a l’impression que la moindre faute nous est comptée double.

Mais ne pensez-vous pas que les entrepreneurs noirs ont déjà assez de soucis lorsqu’on refuse de leur louer un local du fait de leur couleur de peau ou lorsqu’on leur refuse un crédit (oui on sait il n’y a pas que les Noirs qui y sont confrontés) pour qu’on leur en rajoute en jugeant leurs offres plus sévèrement que d’autres ? Quelle forme d’épuisement mental avez-vous en réserve pour eux ? 

En ce qui concerne ceux qui consomment noir peu importe la qualité et qui se gardent de laisser des avis pour ne pas contribuer à détruire le business de quelqu’un de la communauté : je me questionne également :  Pourquoi ? Ne pensez-vous pas que les entrepreneurs noirs doivent comme tout le monde, constamment s’améliorer ? Pensez-vous leur rendre service en les laissant entretenir un statut quo qui à terme, pourrait nuire à leur business ?

Copie à revoir pour les entrepreneurs noirs ?

Pour citer la Gen Z sur Tiktok : « ça y est, nous y est ». La fourmilière que j’entrevoyais est ici. Lorsqu’on fait un tour sur les réseaux sociaux, les témoignages sont nombreux sur ces entrepreneurs noirs « peu sérieux ». 

Récemment, une jeune femme (santana_mendosa) se confiait sur Instagram au sujet d’une vendeuse de perruques qui, à lire les commentaires, serait aussi adepte de roublardises que le loup dans Le petit chaperon rouge. Les témoignages et commentaires sont nombreux en ce sens sur les réseaux sociaux. J’ai moi-même récemment fait les frais d’une entrepreneure, femme noire et maman, chez qui j’ai souhaité dépenser mon argent pour la seconde fois.

Que ne fût pas mon étonnement lorsque cette vendeuse de perruques qui a pignon sur rue (Cardi B, Kylie Jenner, Yanissa, Aziliz et Paola Locatelli en sont des clientes) m’a dit n’être « la chienne ni l’esclave de personne » lorsque je lui demandais le 26 décembre où en était ma commande passée en novembre et censée être livrée dans les deux semaines (Spoiler, je ne reçu ma commande qu’en février).

« Un service client déplorable », c’est ce qui revient en boucle lorsqu’on lit les commentaires des personnes qui ont été déçues par ces entrepreneurs peu scrupuleux qui semblent ne respecter que les influenceurs pouvant leur rapporter des vues et la clientèle pour faire tourner leur business. Si leurs charges ne se payent pas en vues, pourquoi ont-ils aussi peu de respect pour ceux qui font réellement fonctionner leur business ?

Consommer noir ? (Plus) JAMAIS ?! 

J’ai évoqué plus haut plusieurs courants, mais si je devais décerner une palme d’or de l’incompréhension, elle irait certainement à ceux qui ne veulent pas (ou plus) consommer noir.

Mon exemple sera assez clair : Lorsqu’après coup, vous n’appréciez pas un article acheté chez Zara, ou lorsque vous faites l’expérience d’une vendeuse que vous avez l’impression de déranger en lui demandant un renseignement, cela vous fait-il bannir Zara, H&M, Nike… de vos listes d’achat ? Ces groupes appartenant à des non-Noirs : décidez-vous, après une mauvaise expérience chez l’un d’entre eux, de les punir tous ? Si la réponse est oui, je n’ai plus rien à ajouter.

Mais si la réponse (sincère) est non, pourquoi ne gardez-vous pas la même énergie avec les business tenus par des Noirs ? Pourquoi, pour une vendeuse de perruques manquant de scrupules, déciderais-je de ne pas commander chez cette entrepreneure vendant ses produits d’hygiène et qui ne m’a jusqu’ici, rien fait de mal ? 

Pour Safia, fondatrice du média Grandeur Noire et chercheuse en histoire et culture africaines, nous sommes dans une situation d’urgence qui nécessite que nous regardions à deux fois avant de donner notre argent : « Consommons chez nous-mêmes pour financer nos scientifiques, nos agriculteurs, nos technologies, etc. Pour financer l’éducation des générations qui arrivent, des conditions de vie décentes voire confortables, et même des déplacements qui vont permettre à nos commerces de circuler et de prospérer ».

Il serait temps pour nous, clients comme entrepreneurs, de revoir nos priorités. Que les 1ers ne mettent pas tout le monde dans le même panier pour une mauvaise expérience, aussi coûteuse et douloureuse soit-elle. Quant aux 2nds, qu’ils prennent en compte les retours qui leur sont faits par leurs clients « lambdas ».

Mesdames, messieurs entrepreneurs de la communauté, vos parents penseront toujours que vous êtes les meilleurs mais ils n’achèteront pas tout votre stock. Écoutez et entendez votre clientèle : celle qui passe à la caisse ; comme pour une relation amoureuse, c’est elle qu’il faut continuer à séduire.

Pour ma part, je continuerai à consommer noir.

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Femme noire à la caisse d'un magasin et souriant à de potentiels clients