culture-therapy

Crise en Martinique : Marronnage un jour, Marronnage toujours

par Chris

23 nov. 2024

Dans ce troisième épisode de CULTURE THERAPY, le présentateur Chris Douglas s’intéresse au Marronage, un phénomène de résistance légendaire tout droit venu de la période de l’esclavage. Il décrypte par le biais d’archives inédites cet acte de résistance qui fait résonance avec les luttes actuelles contre la vie chère en Martinique et plus largement dans les territoires ultramarins.

Vous avez vu ce qu’il se passe en Martinique ? Ral le bol, manifestations, occupations des magasins, couvre-feux et interventions violentes des forces de l’ordre… Ma tête va péter ! Non, en vrai c’est une véritable révolte contre la vie chère et les injustices qui est née et ce n’est pas près de faiblir !

Mais quand j’y repense, ce n’est pas la première fois que les peuples antillais se révoltent contre l’oppression. Et c’est dans la période où l’asservissement a été à son comble, que des véritables sociétés indépendantes sont nées et que des individus ont pu arracher leur liberté. Allez, petit retour aux racines ! 

Alors, c’est quoi le marronage ? 

Selon l’historienne Myriam Cottias, spécialiste de l’esclavage, c’est un mot qui nous vient de l’espagnol ‘cimarrón’, qui signifie ‘celui qui vit sur les cimes’, ou littéralement, un animal sauvage qui s’enfuit. À l’époque de l’esclavage, le marronage c’est la fuite d’esclaves vers des zones reculées type fôrets et montagnes, pour échapper à la domination des maîtres colons et tenter de vivre librement. 

En 1733, en Guadeloupe par exemple, les marrons représentaient environ 1 à 2 % des esclaves selon la Société d’histoire Guadeloupéenne. Ils étaient environ 533 pour une population noire de plus de 27 000. Malgré leur petit nombre, ils s’organisaient efficacement et amenaient d’autres esclaves avec eux dans cette résistance comme on le voit dans le film “Ni chaînes Ni maitres” de Simon Moutaïrou. 

Bien sûr, ça terrifiait les maîtres qui voyaient leur précieuse plantation menacée car les esclaves en fuite étaient une menace directe à leur système oppressif basé sur la domination totale.

Du coup, ils faisaient appel à ce qu’on appelle des “chasseurs de marrons” pour retrouver ceux qui osaient fuir et les punissaient de manière cruelle. Emprisonnement, torture, et souvent la peine de mort… une vraie terreur mentale et physique mise en scène pour dissuader les autres esclaves de s’y aventurer” (selon les recherches de Jean Fouchard, historien haïtien). 

On a l’exemple de Nat Turner, un noir américain dit « à talent » qui savait lire et écrire, et qui a mené plusieurs esclaves des plantations à la révolte. Il a été condamné à mort pour marronnage en bande organisée.Il faut savoir que les marrons étaient des communautés organisées et il en existait dans de nombreux endroits. 

Des communautés Marronnes Organisées

On peut parler des Quilombos du Brésil, l’une des plus célèbres communautés de marrons. Les Quilombos étaient des villages fondés par des esclaves fugitifs, souvent dans des régions isolées, difficiles d’accès, comme les montagnes et les forêts tropicales.

Parmi eux, le Quilombo de Palmares est le plus connu. Selon l’historien João José Reis, dans les années 1600, ce quilombo est devenu une véritable société autonome de plus de 20 000 personnes avec sa propre structure politique, ses lois, et même une armée pour se défendre contre des colons. Zumbi dos Palmares, un chef emblématique du Quilombo de Palmares, est d’ailleurs devenu un symbole de résistance au Brésil. Il a lutté jusqu’à la mort pour la liberté des esclaves et est célébré aujourd’hui comme un héros national.

En Colombie, on trouve les Palenqueros, des communautés marronnes qui ont, elles aussi, résisté farouchement à l’esclavage. San Basilio de Palenque est d’ailleurs l’un des premiers villages libres d’Amérique et est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO aujourd’hui. Les Palenqueros ont développé leur propre langue, le palenquero, mélange d’espagnol, de portugais, et de langues africaines. C’est un véritable témoignage de leur identité et de leur résistance culturelle qui perdure jusqu’à nos jours.

Au Suriname et en Guyane, on retrouve les Bonis et les Saramakas, des groupes de marrons qui ont réussi à échapper aux colons et à établir leurs propres sociétés dans les forêts denses et marécageuses. Ils ont prospéré dans ces environnements hostiles et créé des villages indépendants.

Les Bonis et Saramakas ont développé des structures politiques et sociales inspirées de leurs racines africaines du peuple Akan. Selon l’anthropologue Richard Price, ils ont même signé des traités de paix avec les autorités coloniales, ce qui a reconnu leur autonomie, un cas unique dans l’histoire de l’esclavage en Amérique.

Aujourd’hui, les descendants des Bonis et Saramakas continuent de préserver leur culture, leurs coutumes et leurs rituels dans ces mêmes régions. Une véritable fierté et un héritage de résilience. 

Enfin en Guadeloupe, on retrouve aussi des traces de ces communautés marronnes, notamment avec le Camp Mondong qui fut autrefois un campement fortifié où les marrons se réfugiaient pour résister aux colons. Situé dans les montagnes des Mamelles, il permettait aux marrons de se défendre et de protéger leur culture.

Alors, ce que vous voyez en Martinique aujourd’hui, c’est une résonance d’un héritage vieux de plusieurs siècles. De nos jours, les ultramarins ne sont plus poursuivis par des chasseurs de marrons mais font face à d’autres difficultés plus insidieuses: une économie détenue par les Békés et la France, des prix des aliments de première nécessité surtaxés, des taux de chômage qui atteint des records, mais aussi des crises sanitaires comme l’empoisonnement au chlordécone ou encore l’accès à l’eau potable limité… En fait, tout est fait pour maintenir une dépendance sociale, économique à la Métropole.

On comprend donc bien ce besoin de liberté, d’autonomie et de justice. Se révolter contre la vie chère, c’est refuser de se soumettre à un système économique qui perpétue les disparités sociales et les dépendances coloniales. Et ce n’est pas juste une histoire de marronnage, c’est une leçon sur la résistance face à des conditions de vie inacceptables, une leçon sur l’importance de lutter pour nos droits et notre dignité.