Daniel Thalmas, un réalisateur qui questionne l’humain
Il aurait pu devenir footballeur professionnel, c’était son rêve, son plan de vie. Mais parfois, la trajectoire qu’on croit toute tracée se dérobe sous nos pas et il faut réapprendre à avancer. Daniel Thalmas a su transformer un échec en renaissance. Passé des terrains de Treichville (Côte d’Ivoire) aux salles de montage parisiennes, Daniel est aujourd’hui réalisateur et directeur artistique. Son dernier projet, le court-métrage “Kids See Ghosts”, explore les cicatrices invisibles de l’enfance. Retour sur le parcours d’un artiste qui a fait de l’image son exutoire.
C’est dans un appartement sobre et élégant, en banlieue parisienne, que Daniel Thalmas m’accueille, un espace qui reflète parfaitement son travail, alliant esthétique et précision technique. Détendu et chaleureux, il plaisante avec un humour ivoirien piquant mais bienveillant. Il parle avec aisance, ponctuant ses phrases d’un sourire complice: « Installez-vous, faites comme chez vous » , dit-il en offrant un café. Chaque élément semble choisi avec soin : des écrans haute définition côtoient des objets d’art sélectionnés avec goût. Un cocon créatif, miroir de sa double identité d’artiste et de technicien de l’image.
De la Côte d’Ivoire à la France
Né en Côte d’Ivoire, et ayant grandi à Treichville, Daniel est le benjamin d’une fratrie de trois frères et sœurs. Leur quotidien se dessine dans une famille modeste avec un père médecin et une mère enseignante. Le fait que ses aînés soient déjà lancés dans leur vie d’adultes quand lui entame à peine le collège, crée une distance silencieuse. En grandissant, Daniel prend conscience qu’entre eux, ils ne partagent rien de spécial : pas de moments privilégiés, pas de souvenirs particulièrement marquants. “On avait de bonnes relations en famille, mais il n’y avait rien de spécial entre nous.”, confia-t-il avec nostalgie.
Ce manque, Daniel le traduira plus tard en images. La relation père-fils, la fratrie, les amis qui deviennent une seconde famille, vont devenir des axes de travail. Le jeune artiste s’inspire de son vécu et son environnement entre autre mais aussi d’autres réalisateurs tel que Joshua Kissi, un réalisateur et photographe ghanéen. Les créations de ce dernier interrogent le noyau familial dans la culture noire et la notion de transmission. « Moi je veux aborder des thématiques qui me parlent et parlent aux gens qui me ressemblent.» explique Daniel.
Mais avant les images, le cinéma, c’est en footballeur qu’il se voit, un sport qui l’anime depuis toujours. Alors pour sécuriser son avenir, son père propose un deal : « Passe ton bac, et tu pourras jouer à fond ». Marché conclu. Puis les exigences montent : « Inscris-toi à la fac, et là, tu pourras vraiment faire du foot. » Mais une fois en France, les difficultés s’accumulent. Le climat, les blessures, le retard accumulé par rapport à ses jeunes coéquipiers déjà formés. « Je devais faire plus que les autres et surtout je devais tout apprendre tout seul. Personne pour me guider », dit-il, conscient du poids des sacrifices familiaux pour qu’il poursuive son rêve.
Mais le corps ne suit plus et la dernière détection qui aurait pu changer sa carrière lui échappe à cause d’une blessure. Daniel rentre alors en Côte d’Ivoire, revient, tente de rejouer, mais la flamme s’est éteinte. « Je ne me sentais plus à ma place. » Un jour, en plein cours de droit, le jeune homme se projette : « Dans cinq ans, je suis banquier, costume-cravate…Ce n’est pas pour moi. » Il finit par quitter la fac et n’y remettra jamais les pieds.

De la pelouse aux salles de montages
Passionné par les visuels percutants des pubs Nike, Daniel se rappelle avoir toujours eu un attrait pour l’esthétique de l’image. D’ailleurs, il avait déjà acquis un peu d’expérience à travers des photos improvisées avec l’appareil de son oncle Regis Thalmas. Puis, le graphisme, la vidéo. Autodidacte d’abord, Daniel finit par intégrer une école de communication. il apprend, se perfectionne. Ses débuts sont rudes : contrats flous, arnaques, stages non payés. Mais il s’accroche. «Je n’avais pas le choix. Tout ce que je savais, c’était que je ne voulais pas d’une vie bloquée derrière un bureau».
Daniel a d’abord construit sa carrière en réalisant des projets à vocation commerciale, collaborant avec diverses marques et entreprises. Mais l’envie de s’exprimer pleinement ne le quitte pas. Il continue, en parallèle, de développer des projets personnels, explorant des thématiques qui lui tiennent à cœur.
En 2023, il décide de franchir un cap en finançant seul sa première exposition, “Fake”, une vidéo-expérience immersive qui interroge la frontière entre réalité et réseaux sociaux. « ll fallait que je prouve que j’en étais capable » Exposer des photos dans une galerie lui semblait “trop simple”, alors Daniel choisit d’exposer des vidéos. Au total, 14 000 euros ont été investis. « Je voulais un art qui pousse à la réflexion».
L’exposition “Fake” est plus qu’une prouesse technique, elle est le support qui a questionné la centaine de visiteurs de l’exposition sur leur rapport entre les réseaux sociaux et le monde réel.
“Derrière chaque plan, chaque contraste, une intention profonde. Il y a toujours une dualité dans mes œuvres. Le bien et le mal, la lumière et l’ombre, la vérité et l’illusion. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se cache sous la surface.” – Daniel Thalmas

L’introspection, le maître mot
« Mon but, c’est de faire un art porté sur l’humain, qu’on puisse se remettre en question », affirme Daniel. Parmi ses influences artistiques, il y a Christopher Nolan et la complexité psychologique. Il évoque avec enthousiasme le film Time Out, réalisé par Andrew Niccol (2011), dont le concept l’a marqué au point de se le tatouer sur le bras. « L’idée que le temps devienne une monnaie d’échange, c’est brillant. Ça pousse à réfléchir sur notre propre société. »
Mais au-delà des figures emblématiques, l’inspiration première de Daniel demeure son entourage, ses proches, ses expériences et ses souvenirs. Son court-métrage Kids See Ghosts en est un parfait exemple : le personnage de Mousco est directement inspiré de son enfance en Côte d’Ivoire, chaque scène nourrie par des instants réels. De même, la famille divisée au cœur du récit trouve son origine dans l’histoire d’une de ses amies.
Plus qu’un simple désir de raconter, c’est une véritable mission : interroger l’individu, l’identité et les cicatrices invisibles que chacun porte. « Peu importe que l’on trouve mon film beau, ce qui compte pour moi, c’est son message, qu’il touche les gens et résonne en eux. »

L’importance des traumatismes
À travers ce film, le réalisateur invite à une introspection collective. L’idée centrale ? Que ce que nous vivons aujourd’hui n’est que l’écho de ce qui nous a été infligé hier. « Je pense que tout a une origine », conclue-t-il. Les comportements et les souffrances actuels sont souvent les résultats d’événements passés, des blessures non guéries.
Le jeune artiste veut montrer qu’il faut parfois prendre du recul, se poser et regarder ce qui nous façonne. Parce que derrière chaque souffrance, il y a souvent une histoire non racontée, enfouie.
“Kids See Ghosts” est une première étape : mais ce n’est que le début. Le projet va évoluer, le concept grandira. Le court-métrage ouvre la voie à un long-métrage où le thème des traumatismes pourra être exploré plus en profondeur. Le but étant de rendre ces réalités encore plus visibles, d’élargir le propos pour toucher davantage de personnes et d’ouvrir la voie à de nouvelles questions et réflexions.
Rédaction : Carla Ntessi / Photographie : Ami Touré pour BY US MEDIA
