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Être infirmière en temps de crise, l’éternel combat

par Rokia

28 mars 2020

Pour ce nouvel épisode de ‘La plume de…‘, nous avons choisi de donner la parole à une personne en première ligne face au Covid-19. Infirmière depuis peu, Victoria* nous raconte l’arrivée des premiers patients atteints du Coronavirus, au sein de son service. Témoignage.

Je suis infirmière depuis un an pile poil, en ce mois de mars… Drôle d’anniversaire ! Je travaille en soins intensifs hématologie. Pour ceux qui ne connaissent pas, en gros, ce service traite les cancers liés aux cellules souches hematopoïétiques, cellules fabriquées dans notre moelle osseuse et essentielles pour notre survie à savoir les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. Nous travaillons 12 heures par jour, avec une alternance jour / nuit de trois mois par période. Je suis également une maman solo d’un garçon de dix ans (heureusement, ma maman m’est d’une aide précieuse).

“S’ils chopent ce virus, nos patients ne seront pas pris en charge en réanimation et ils mourront.”

Au début de la crise sanitaire du Covid 19, mon service n’a pas été trop touché, dans le sens où nous n’acceuillions pas de patients COVID+. Nos patients sont extrêmement fragiles car souvent en aplasie, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas ou très peu de défenses immunitaires. Et c’est pour cette raison que nous devons les protéger au maximum, le risque infectieux étant très élevé pour eux. Dans le service, nous avons arrêté de greffer les patients dès le début de cette crise (on greffe de la moelle osseuse ou des cellules souches hématopoïétiques et depuis peu, des CarTCell qui sont une nouvelle avancée pour nos patients). Les greffes sont arrêtées dans la mesure où lorsque la greffe ne se passe pas bien, nos patients sont transférés en réanimation, ce qui est totalement impossible en ce moment. Nous continuons uniquement les chimiothérapies et les transfusions de sang et/ou de plaquettes qui font partie du quotidien de nos patients et qui sont indispensables pour les maintenir en vie.

Le problème qui se pose actuellement, hormis l’interruption des greffes, c’est que les services de l’hôpital sont remplis de patients COVID. Nous commençons dorénavant à en recevoir à notre tour. Cela pose problème car ces patients sont dans des chambres à flux positif, ce qui signifie que l’air est filtré par un circuit différent de celui du reste de l’hôpital et que l’air extérieur à la chambre ne peut pas entrer, afin de ne pas laisser toute sorte de microbes s’infiltrer dans celle-ci. Par contre, l’air à l’intérieur de la chambre est bien filtré mais il est éjecté à l’extérieur, dans le couloir. Du coup, il faudrait que les chambres soient mises en pression négative, afin de ne pas propager le virus dans tout le service. L’autre problème qui se pose est que dans notre unité, certaines chambres ont des flux qui communiquent, ce qui fait que le virus pourrait se transmettre encore plus facilement d’un patient à l’autre, ce qui serait catastrophique. S’ils chopent ce virus, nos patients ne seront pas pris en charge en réanimation et ils mourront. C’est tragique, mais c’est la vérité !

Nous ne sommes pas censés garder ces patients positifs COVID dans notre service mais face à l’ampleur de la situation, nous n’avons pas le choix.

Ces temps-ci, nous attendons des informations en provenance de nos cadres, pour savoir si certaines chambres peuvent être mises en pression négative, afin que patients et soignants soient protégés au maximum. À l’instar de la plupart des services, nous avons très peu de masques, c’est pourquoi ils sont utilisés sur des durées supérieures à la normale. Résultat : nous ne sommes pas protégés efficacement… Nous attendons toujours ces livraisons de masques promises par le gouvernement… Et à supposer que ces réserves de masques nous parviennent enfin, ces derniers seront très certainement abimés, périmés, avec une efficacité amoindrie en raison d’un conditionnement datant d’au moins 5 ans. Selon les retours de nos confrères, ce n’est pas le masque en lui-même qui pose problème mais les élastiques désagrégés qui ont perdu leur élasticité et qui peuvent lâcher en pleins soins, ce qui est très grave !

Nous sommes inquiètes pour nos patients, inquiètes pour nous et notre entourage. Nos cadres nous donnent des informations au compte goutte. Nous nous sentons abandonnés par nos supérieurs. Ne parlons même pas de l’abandon des politiques qui lui, dure depuis des années…

Les conséquences sur le plan familial sont multiples. Mon fils est gardé par ma maman quand je travaille de nuit (c’est le cas en ce moment). Ma mère est âgée de 60 ans et a un petit terrain fragile au niveau pulmonaire, avec des antécédents qui datent mais qui existent toujours. Au début de la crise, je récupérais mon fils sur mes jours de repos mais désormais, ce n’est plus possible. Cela fait trop d’allers-retours, et avec l’arrivée des patients COVID dans le service, je suis encore plus inquiète pour eux et surtout pour ma maman. C’est pourquoi, à ma prochaine nuit de travail (demain) mon fils restera chez ma maman jusqu’à la fin de la crise ou lorsqu’une nette amélioration sera constatée concernant la propagation du virus. Ça me crève le cœur mais pour l’heure, c’est la meilleure solution pour les protéger tous les deux.

Voilà, nous attendons la suite mais au vu du comportement inconscient des Français qui ne respectent pas le confinement, eh bien, nous sommes loin d’être rassurés !

*Le nom de la personne a été modifié à sa demande.