Kanaky/ Nouvelle-Calédonie : Comprendre la crise
Depuis le 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie est plongée dans une crise sociopolitique sans précédent. Ce territoire français du Pacifique Sud, déjà marqué par des tensions communautaires et des inégalités économiques, est secoué par de violentes émeutes, déclenchées par une réforme constitutionnelle qui prévoit de modifier le corps électoral de l’archipel. Cette crise a fortement exacerbé l’opposition entre les Kanaks, peuple autochtone de l’île, et les « Caldoches», descendants des colons européens.
Le lundi 13 mai 2024, alors que l’Assemblée nationale s’apprête à se prononcer sur une révision constitutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, des émeutes éclatent sur l’île. La réforme, qui vise à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales, suscite l’indignation des indépendantistes kanaks, qui y voient une menace directe à leur pouvoir électoral. La situation dégénère rapidement : en 3 jours les violences entraînent la mort de cinq personnes, dont deux gendarmes, et font des centaines de blessés, principalement kanaks.
Le 15 mai, face à l’escalade des tensions, le gouvernement décrète l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie. Malgré cette mesure, les violences continuent de secouer l’archipel, entraînant des destructions massives d’infrastructures et plongeant l’économie locale dans une crise profonde. Le 15 août, un nouvel affrontement entre émeutiers et forces de l’ordre coûte la vie à un homme, portant le bilan des victimes à onze morts depuis le début des barrages.
Des tensions communautaires
La situation actuelle en Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans un contexte historique marqué par des décennies de tensions communautaires. D’un côté, les Kanaks descendants des premiers habitants de l’île, et de l’autre, les « Caldoches », descendants des colons français. Les Kanaks représentent environ 40 % des 270 000 habitants, contre 24,1% pour les « Caldoches ».
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Cette cohabitation est marquée par des inégalités économiques et sociales considérables. Les Kanaks en particulier, souffrent d’un déclassement socio-économique sévère. Selon Mathias Chauchat, conseiller du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), près de la moitié des Kanaks ne possèdent que le brevet des collèges, contre seulement 11 % des Caldoches. Cette précarité accentue les tensions, d’autant plus que les jeunes Kanak voient les métropolitains arrivés récemment, occuper de plus en plus d’emplois.
Sur le plan économique, les conséquences sont désastreuses. Les émeutes ont entraîné la destruction de plus de 700 entreprises, de nombreuses infrastructures publiques, et ont mis des milliers de salariés en chômage partiel. La révolte sociale, combinée aux récentes réformes économiques impopulaires, a plongé la Nouvelle-Calédonie dans une situation de précarité extrême. Les autorités locales réclament un plan de sauvetage de plusieurs milliards d’euros pour tenter de reconstruire l’économie de l’île.

Le déclencheur
Au cœur de la crise actuelle se trouve la réforme du corps électoral. Depuis 2007, les listes électorales pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie sont gelées à leur état de 1998, empêchant les nouveaux arrivants de voter. Cette loi était perçue comme un acquis crucial pour les indépendantistes kanaks, leur garantissant un poids électoral significatif.
En janvier 2024, face aux tensions, le gouvernement français propose de défiger ce corps électoral, permettant à 25 000 nouveaux résidents de s’inscrire sur les listes. Approuvé par le Sénat en avril dernier et par l’Assemblée nationale en mai, le projet de loi doit encore être validé par le Parlement réuni en Congrès à Versailles pour être définitivement adopté.
Le mouvement de protestation est mené par le FLNKS, une coalition de partis politiques indépendantistes. Ils craignent que la réforme ne marginalise les Kanaks en diluant leur pouvoir électoral. Créée en 1984, cette organisation, alors dirigée par Jean-Marie Tjibaou, a longtemps lutté pour l’indépendance de l’archipel, avant d’opter pour la négociation avec l’État français. Aujourd’hui, elle voit dans cette réforme une trahison de l’accord de Nouméa de 1998, qui avait instauré le gel.
En face, les Loyalistes défendent l’intégration des nouveaux résidents aux listes électorales, arguant que le temps est venu de normaliser les conditions de vote. Cette coalition non-indépendantiste, historiquement alignée avec la droite française, est profondément divisée entre ceux qui prônent une partition de l’île et ceux qui préfèrent maintenir une Nouvelle-Calédonie unifiée.
De son côté, la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain), une organisation proche du FLNKS, joue un rôle central dans l’organisation des manifestations contre la réforme.

Un conflit colonial
Cette crise est en réalité l’écho d’un conflit enraciné dans l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie. En 1984, les tensions avaient déjà dégénéré en quasi-guerre civile après que le FLNKS eut appelé au boycott des élections territoriales, pour protester contre un projet de statut imposé par le gouvernement. Cette période de violences, marquée par des affrontements sanglants entre indépendantistes Kanaks et Loyalistes, avait conduit à la signature des accords de Matignon en 1988, qui avaient ramené une paix fragile sur l’île.
Ces accords, suivis par l’accord de Nouméa en 1998, avaient pour but de rétablir un équilibre socio-économique entre les communautés et de préparer progressivement l’archipel à une éventuelle indépendance. Cependant, les référendums d’autodétermination organisés depuis 1987 ont systématiquement rejeté l’indépendance, avec des résultats toujours plus serrés, révélant une fracture communautaire profonde.
L’ONU condamne la politique coloniale d’Emmanuel Macron
La situation en Nouvelle-Calédonie a attiré l’attention de la communauté internationale. Dans un communiqué de presse daté du 19 août 2024, des rapporteurs spéciaux de l’ONU s’alarment de la situation du peuple Kanak. Ils ont notamment accusé la France de « porter atteinte au processus de décolonisation en tentant de démanteler les accords de Nouméa ».
Les rapporteurs de l’ONU ont également dénoncé « l’usage excessif de la force à l’encontre des manifestants, le déploiement continu des forces militaires et les rapports continus de violations des droits de l’Homme qui ont ciblé des milliers d’autochtones kanak pour avoir pris part à des manifestations depuis mai 2024 ».
Enfin, l’ONU réclame l’abrogation de la réforme du corps électoral. Quant à l’ONG (Organisation Non Gouvernementale) Amnesty International, elle appelle également à la retenue dans l’usage de la force et à la protection des droits fondamentaux du peuple kanak.
Gabrielle Bellay Povia
