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Rencontre avec Seydou Sissokho, auteur et dessinateur BD

par Syonou

14 avr. 2018

Il se nomme Seydou Sissokho et est basé à Dakar. Étudiant en deuxième année de Biologie-Chimie-Géosciences, le jeune homme qui dessine depuis ses 7-8 ans est un inconditionnel fan de Manga. Son rêve est de donner corps à ses histoires et marquer la science actuelle avec des découvertes ou projets. ByUs Media est allé à la rencontre de ce génie dont la détermination n’a d’égal que le talent.

Bonjour Seydou ! Vous êtes le scénariste et dessinateur d’une BD africaine qui est en cours sur la page Facebook.com/kenbugulcomic, une BD que vous qualifiez de “révolution noire”… En quoi cette BD est-elle révolutionnaire ?

Bonjour ByUs ! Honnêtement je crois que c’est une BD qui sort des clichés vus et revus sur l’Afrique : des Noirs habitant dans des villages, à moitié nus, ne connaissant que sorcellerie et guerres de royaumes. Ken bugul est une histoire dramatique se déroulant dans un contexte anachronique où l’Afrique est isolée du reste du monde par un mur construit dans les années 60, le continent connaît un essor tout en étant “oublié” du reste du monde. L’histoire se déroule au 22ème siècle, dans une atmosphère futuriste.

C’est une révolution dans le sens où c’est peut-être la première BD faite par des Africains qui veut impressionner, s’imposer et inciter de jeunes africains à faire de même, sinon mieux ! La BD de la page Facebook correspond à la version longue (plus de 100 pages), mais l’histoire grandeur nature est en cours et sera prête dans les années à venir, si Dieu veut.

Vous travaillez en association avec un ami nigérien qui, selon vos propres mots, vous a aidé à avoir ce rendu final, quel a été exactement son rôle ? Est-il lui-même dessinateur ?

 En effet, je travaille avec un ami nigérien du nom d’Issaka Galadima qui vit à Paris. Il a décidé de tester son nouveau logiciel en améliorant/redessinant mes planches grâce à son niveau bien plus “correct” que le mien, ajouté au fait qu’il possède du matériel graphique que je n’ai pas. Le résultat est surprenant comme vous pouvez le constater par vous-même. Lui aussi est dessinateur ! Vous pourrez d’ailleurs apprécier son talent via son compte Instagram et sa chaîne Youtube.

Donc vous êtes d’origine sénégalaise et votre binôme, d’origine nigérienne. Le fait de travailler ensemble apporte-t-il une plus value au design ou au scénario de cette BD ?

Absolument ! À la base Youssouf, l’un des personnage de la BD, avait comme nom de famille Charafi, mais Issaka a jugé Alzamud plus parlant. Il a par ailleurs ajouté des motifs nigériens à la tunique bleue que porte Ken bugul. Nous avons aussi longuement discuté du scénario pour améliorer les mises en scènes et parler du design de certains personnages comme Sofia (qui a été dessiné selon le style d’Issaka pour la coiffure), Imene et Marwa.

Quand avez-vous su que vous vouliez devenir illustrateur ?

Depuis que j’ai commencé à dessiner je crois, donc depuis 12 ans (j’en ai 20 actuellement), mais je ne savais pas où aller et comment faire donc j’ai dessiné encore et encore, sans espérer ni douter que cela marcherait avec comme carburant la passion et le rêve. Néanmoins, je me vois comme un débutant et je suis très loin d’avoir un niveau qui me satisfait vraiment.

Vous semblez tout droit sorti d’une école de Mangaka, bien que basé à Dakar : comment vous-êtes-vous formé au dessin ?

Ahah, je préfère dire qu’Issaka est plus doué, mais vu son expérience et son âge (26 ans), j’ai encore du chemin à faire. Ceci dit, ni lui ni moi n’avons suivi de formation particulière. Nous ne faisons qu’observer, analyser, pratiquer (surtout) et suivre des tutos. Il faut donc beaucoup de patience et de flegme pour évoluer efficacement.

Est-ce votre première BD ou en avez-vous créé d’autres ?

C’est ma toute première BD 😱 ! Et comme je suis en collaboration avec Issaka qui a déjà près de 11 BD à son actif, nous avons beaucoup échangé sur comment améliorer certaines choses dans l’histoire. Je n’aurais jamais cru que ma première BD serait connue ou appréciée, mdr !

Cela a-t-il été facile de créer vos personnages ?

Oui, oui ! Je dessinais les nuits après avoir révisé mes cours. J’avais l’habitude d’écouter une sourate du Coran (Yussuf), c’est ce qui m’a inspiré à faire un personnage beau et diplomate. Puis j’ai ajouté le fait qu’il cache en fait un secret (ses talents d’ingénieur et la Cité des mirages). J’ai laissé mon imagination parler et me guider. Sofia, sa femme, dont le nom veut dire “sagesse”, a une sœur unique du nom de Mariama (nom arabisé de Marie) avec qui elle se montre protectrice et maternelle. Mamadou est un nom choisi au hasard, Imene et Marwa existent en réalité (l’une est algérienne et l’autre, djiboutienne). Bilal est inspiré d’un graffiti que j’ai vu dans mon université. Ken bugul dont le nom veut dire “personne n’en veut” en wolof est en partie inspiré de moi.

Comment organisez-vous vos journées de travail ?

Issaka et moi, communiquons exclusivement par Internet (Facebook, Messenger, Whatsapp). Dans un premier temps, nous avons revu en fond le scénario pour le peaufiner. La totalité de ce travail a duré 100 heures. Issaka s’inspire ensuite de mes dessins pour les reprendre sur tablette graphique ou dessiner des scènes du scénario. Nous travaillons ensemble 1h30 par semaine, du lundi au vendredi, puis le dimanche selon sa disponibilité.

Vous semblez particulièrement apprécier l’univers Manga, quelles sont vos influences en la matière ?

Les mangas sont une très grande source d’inspiration, de réflexion, de motivation ou de détente dans la vie, et selon moi, beaucoup sont inaccessibles aux plus jeunes en raison de leur portée profonde, aussi bien sur le plan social, religieux, philosophique que politique !

Mes influences en la matière sont notamment les mangas à thèmes assez sombres tels qu’ “Abara” ou “Shingeki no kyojin”. D’ailleurs, l’histoire actuelle de Ken bugul (Mirages écarlates) est remplie de scènes de baston car je voulais représenter une histoire épique pour donner une sensation de “wouah !”, avec un maximum de mouvements pour m’entraîner sur le plan anatomie ; et sur ce point Dragon Ball, One Punch Man, Sun Ken Rock entre autres, m’ont servi de références.

Envisagez-vous d’adapter votre BD en animé pour en faire une série fleuve comme One Piece ou encore Dragon Ball Z ?

Nous n’avons même pas encore d’éditeurs ! J’aimerais d’abord finir cette histoire, puis si elle trouve des éditeurs et une bonne maison d’animation, pourquoi pas ?! 😉

Ken Bugul, votre personnage principal semble être un mélange d’Afro Samuraï et Ken le Survivant : vous ont-ils inspiré pour la création de votre héro ?

J’aime beaucoup ces personnages (rires), mais je ne pense pas… peut-être inconsciemment, qui sait ?! J’ai avant tout laissé parler mon imagination. J’ai essayé de représenter ce qui me venait à l’esprit quand je pensais à des termes comme “sauvage, solitaire, torturé ” : un homme en haillons, portant deux sandales différentes, le cheveu hirsute et le regard posé, maîtrisant des arts de combat, fugitif et victime des barrières et jugements de la société, depuis l’enfance. Cependant Ken est très cultivé et philosophe, voire humaniste. L’écrivaine sénégalais Ken bugul m’a inspiré pour son nom, mais je l’ai surtout choisi parce qu’il réconcilie les fans de manga habitués à des noms tels que Ken, mais aussi les Africains, dans la mesure où ce nom revêt un fort aspect mystique au Sénégal. Ken bugul est l’africain qui vivait au jour le jour et qui a pris conscience de l’importance du combat qu’il doit entreprendre à son niveau, et se retrouve ainsi voué au gémonies.

La romancière sénégalaise Mariètou Mbaye, plus connue sous le pseudonyme de Ken bugul

Avez-vous un personnage préféré dans votre BD et pourquoi ?

J’aimerais répondre “Ken bugul” vu que c’est le personnage à qui j’ai insufflé une forte partie de moi-même, bien que l’histoire ne mette pas en évidence cet aspect. Je dirai donc Mariama… oui elle ! J’aime beaucoup l’image de la femme forte, déterminée qui, malgré son côté garçon manqué, demeure très féminine même si elle s’arranger pour cacher cela au monde cruel qui l’entoure, et se réfugie derrière un sarcasme et un cynisme héroïque. J’aurai voulu la mettre davantage en avant, parler d’elle et de son sacrifice pour sauver sa sœur, dans la scène 2 de l’histoire.

Êtes-vous vous-même un grand consommateur de BD ? Si oui, quelle est votre dernier coup de cœur ?

Oui, j’en lis sur des sites, notamment japscan. Et mon dernier coup de cœur est Berserk, un manga de Kentaro Mirua, aussi sublime artistiquement que sur le plan scénaristique.

Quel est le bédéiste pour lequel vous avez le plus d’admiration ?

J’ai vraiment l’embarras du choix mais je citerai Hajime Isayama avec son shōnen manga “Shingeki no kyojin”, dont la version française sous le nom de “L’attaque des titans” ! Cela explique la présence du “Jaeger” sur mon nom Facebook.

Quel est votre comics favori ?

Je ne lis pas trop des comics de Marvel ou DC, mais je m’intéresse depuis quelques années à Black Panther, car à l’époque, j’envisageais de faire comme totem de mon personnage, une panthère noire.

Killmonger et T’Challa #Black Panther

À ce propos, avez-vous eu l’occasion d’aller voir le tant attendu blockbuster Black Panther ? Qu’en avez-vous pensé ?

 Je ne l’ai pas vu dans sa totalité mais je sais essentiellement ce qui s’en dégage. Ce film a provoqué beaucoup de remous et doit être pris avec du recul. On voit Tchalla combattre puis tuer Killmonger qui, de mon point de vue, avait de bonnes intentions et qui a préféré mourir libre plutôt que de vivre enchaîné. À côté de ça, l’aspect “Wakanda” comme seule partie isolée de l’Afrique avec une technologie, est assez similaire à l’environnement dans lequel évolue Ken bugul. Cependant, dans mon histoire, c’est l’Afrique entière qui est concernée. Sinon, j’ai trouvé le film Black Panther très bien réalisé artistiquement parlant. On y retrouve plusieurs ethnies africaines et c’est une très bonne manière de parler d’unicité malgré la diversité immense au sein du continent, avec Tchalla qui ouvre les portes du Wakanda au reste du monde, geste présageant un avenir plein de possibilités !

Quels sont vos projets à venir ?

Moi et Issaka et moi n’avons que le projet ‘Ken bugul One Shot’ en commun, mais qui sait ? De mon côté, je prépare une histoire intitulée ‘Siafru’, une grande aventure où le racisme entre Africains, l’aspect culturel et mystique seront très présents. Viendra ensuite la grande épopée Ken Bugul qui démarrera dans quelques années, le temps pour moi d’atteindre un niveau qui me permettra de donner à cette œuvre toute la puissance qu’elle mérite.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui rêve de faire de la BD ?

De nombreux frères très enthousiastes sont venus soutenir notre BD, nous encourager et nous demander des conseils. Je leur disait à peu près ceci :“Beaucoup d’animations parlant de l’Afrique, telles que “Samba”, “Leuk” ou encore  “Kirikou”, ne sont pas des “Made in Africa by Africans”. J’estime que ce n’est pas aux autres de créer des histoires parlant de ta culture et celle de tes ancêtres. Cela doit te motiver à ne pas abandonner tes rêves et à travailler dur pour y arriver, tout en sachant que beaucoup parmi tes proches ne t’encourageront pas. Il te faut du courage, de la persévérence. Observe ton environnement, parle à tes aînés qui maîtrisent la culture de laquelle tu es issu.e, et déploie toute ton imagination afin de montrer que nous aussi, nous avons toujours été capables de grandes choses. Et si cela ne réussit pas avec toi, aide ton frère et transmets la flamme à la prochaine génération pour que jamais elle ne s’éteigne !”

Alors là… rien à ajouter, trop de chakra le jeune Seydou !