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“Kehloucha” Gate : La négrophobie au menu à Cergy

par Aida

4 juin 2021

Pour ce nouvel épisode de La plume de…, la rédaction offre l’encre, la plume et le parchemin à Aida Gueye, chroniqueuse/blogueuse/vlogueuse franco-sénégalaise. Elle s’intéresse à la littérature et aux mondes culturels des diasporas africaines en Europe. Dans cette chronique, elle rappelle que la négrophobie émanant des communautés arabes est loin d’être une fiction.

Lundi, les réseaux étaient en feu. Comme tout le monde, je me suis approchée pour voir d’où venaient les flammes… « Espèce de sale négresse, personne te touche même avec un bâton ». Voilà la bande son du lugubre clip vidéo mettant en scène un homme qui se défoule sur un autre homme et sur une femme qui tente de venir en aide à la victime.

Pardon, mais… qu’est-ce qui a tant choqué les gens ? L’attaque négrophobe ? La mygogynoir de l’agresseur ? Son origine maghrébine ?

Pourtant, je crois que c’est assez acté en 2021 que l’on vit dans un monde foncièrement négrophobe, que dans la hiérarchisation des femmes comme bien de consommation, on a placé la femme noire au dernier rang du marché de la désirabilité.

“Enfin, je pensais qu’en 2021, tout le monde savait, acceptait que la négrophobie maghrébine est une réalité tangible…” 

Voilà ce qui me choque pour ma part : le déni ! Le déni de cette problématique au Maghreb mais pas que. C’est cela qui devrait surprendre, interpeller. Ce racisme qui quand on s’évertue à le dénoncer, se légitime à coup de : 

– On rigole

– Faut pas voir le mal partout

– C’est la Oumma 

– J’ai grandi avec des Sénégalais et kinkinkin

– Je ne suis pas raciste, je suis « arabe » 

Ah… d’accord… le grand-père de Moussa Darmanin ce ne serait pas un maghrébin par hasard ? Les ancêtres de Zemmour, de Guirous, d’El Rhazoui, de Messiha ? Depuis quand être soi-même racisé.e empêche-t-il d’être raciste ? Quand même, on est en 2021 ! À ce titre aussi, j’estime qu’on a plus le temps pour les compromis douteux. 

Rappelez-vous l’an dernier, l’affaire Booba/Benzema. Deux frangins. Potos comme jaja. Pourtant, quand Benzema s’est affiché éhontément avec Bassem, le promoteur de la négrophobie maghrébine en France, Booba n’a pas tergiversé. Il a coupé les ponts de manière chirurgicale. Net et précis. 

Il a tellement eu raison. Zéro tolérance. De la petite blague déplacée, au meurtre, en passant par le passage à tabac, ou le très innocenté terme “kahlouch.a”… Askip ça veut seulement dire noir.e mais ce n’est pas tout à fait exact. Khel ou khehla est un des noms pour dire noir.e. Mais kehlouch.a c’est genre « noiraud.e,» , « noirounet.te » c’est une diminutif réducteur (appréciez la blague) que je trouve très péjoratif et problématique. 

“Un.e Noir.e est un.e noir.e , pas un.e black, pas un.e kehlouch.a”

J’en ai discuté avec Mira, mon alter ego et d’après elle, c’est vraiment presque affectif, ça adoucit le terme, comme on peut le faire avec certains prénoms. Aïdouche pour Aïda, Minouche pour Mina, ou pour un chat…  Et bien franchement, si dans les cultures maghrébines, le fait d’être foncé.e, noir.e était moins déprécié, alors on aurait pu ne pas faire un foin de l’utilisation d’un diminutif pour définir les Noir.es. Tel n’est pas le cas.

Un.e Noir.e est un.e noir.e , pas un.e black, pas un.e kehlouch.a. Le mot Noir.e est neutre et n’a que la charge émotionnelle, idéologique dont vous l’emplissez. Noir.e, c’est tout doux pour moi. Est-ce que pour vous c’est gros mot ? Allez, un peu de courage, dites Noir.e ! dites Khel !

Il nous faut à tous clairement du courage.  Pas comme ce lâche qui s’est attaqué à deux personnes noires mais pas n’importe lesquelles. Celles qu’il a jugé en dessous de sa maghrebinité et assez faibles à l’échelle de la société pour pouvoir les agresser sans représailles : une femme noire et un migrant, en manifeste situation précaire puisqu’il risque sa santé pour livrer des sushis. Il n’a pas agressé un grand Noir posé devant son bloc dans le 13 ou le 93, nooon…

Non, ça ne va pas « diviser » les quartiers populaires ou les militant.es en rebeux vs renois.

Il nous faut du cardio (parce que c’est du sport tout ça) et beaucoup d’amour-propre, de la franchise, même avec ceux et celles que l’on aime, encore plus, même ! Et ce, quels que soit la carte, le totem d’immunité que l’on nous brandira selon le cas, comme l’évidente fraternité religieuse qui rappelons-le, exige le respect, considérer l’autre comme soi. Rappelons encore qu’entre frères et sœurs aussi de temps en temps, ça se manque, ça se loupe et il faut recadrer. Fort même… 

Enfin pour résumer et conclure : Oui, en France, nous subissons le même racisme systémique et cela nous rend solidaires contre les coups de nos assaillants quand on est ou que l’on est perçu comme « noir et/ou arabe. Non, ce n’est pas une raison pour occulter la négrophobie maghrébine ou quelle qu’elle soit. Non, ça ne va pas « diviser » les quartiers populaires ou les militant.es en rebeux vs renois. Non, tous les maghrébin.es ne sont pas racistes, comme tous les noir.es ne sont pas coloristes.

Bref, la route est longue mais qu’ALLAH swt nous accorde le courage, le cardio, la force et l’amour-propre de ne jamais laisser qui que ce soit nous enlever quoique ce soit du respect qui nous est dû. Individuellement et collectivement. 

Aïda Gueye,

Aïda Gueye

Aïda Gueye est une blogueuse/vlogueuse franco-sénégalaise. Elle s’intéresse à la littérature et aux mondes culturels des diasporas africaines en Europe. Elle a écrit pour le journal Le Monde et est chroniqueuse chez BY US MEDIA.