Le parcours étonnant de Stéphanie St. Clair, martiniquaise et cheffe de gang à New-York dans les années 20
Cheffe de gang la plus célèbre de la Renaissance de Harlem, Stéphanie St. Clair a dirigé un « numbers racket », a combattu la corruption policière et a défié les mafieux pour revendiquer le surnom de “Madame Queen”.
Parmi les légendes urbaines les plus célèbres de l’époque de la Prohibition aux États-Unis figure la « Madame Queen » de Harlem, Stéphanie St. Clair. Née à la fin des années 1890 en Martinique sous le nom de « Sainte Claire », elle fuit sa vie de domestique après la mort de sa mère. Elle s’installe à New York en 1911, et refait surface quelques années plus tard avec son nom américanisé – « St. Clair » – prête à s’arroger la pègre new-yorkaise.
Endurcie par une jeunesse jalonnée d’abus sexuels, Stéphanie St. Clair met son éducation – savoir lire, écrire, compter et calculer – et sa perspicacité au service du « numbers racket », la loterie clandestine de Harlem qui a fait sa fortune.
PATRONNE TOUTE-PUISSANTE DE LA LOTERIE CLANDESTINE D’HARLEM
Dans les années 1920, les villes du Nord accueillent les millions d’Afro-Américains fuyant la loi « Jim Crow » dans le Sud. Mais en pleine période de ségrégation raciale aux États-Unis, de nombreuses banques refusent les clients afro-américains. L’économie clandestine des « numbers » est alors l’une des seules options disponibles pour investir ses revenus. Celle-ci fonctionne comme un système bancaire mélangeant investissements, jeux d’argent et jeux de loterie.
Tirant profit de l’époque, St. Clair investit 10 000 dollars dans sa propre entreprise criminelle, en 1923. Elle devient la « banquière » : celle qui prends les paris, rémunère les gagnants et empoche les bénéfices. Avec l’aide de son lieutenant Ellsworth « Bumpy » Johnson, un autre mafieux afro-américain, elle s’impose comme la « reine des numbers », gagnant plus de 200 000 dollars par an.
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Son succès suscite la convoitise des autres mafieux. Privés des revenus de la contrebande d’alcool avec l’abrogation de la Prohibition, ils cherchent à prendre le contrôle de ses affaires. Refusant de céder son territoire, Madame Queen se bat avec ferveur contre le mafieux juif Dutch Schultz, le chef de la mafia italienne Charles « Lucky » Luciano et des forces de police corrompues, avant de se résigner à une trêve. « Bumpy » Johnson et « Lucky » Luciano organisent par la suite l’assassinat de Schultz, qui reçoit sur son lit de mort un télégramme de Madame Queen contenant un simple verset biblique : « As ye sow, so shall ye reap » (« Ce que vous avez semé, vous le récolterez »).
DÉFENSEUSE DES DROITS DES IMMIGRANTS ET DES AFRO AMÉRICAINS
Dans « Playing the Numbers: Madame Stephanie St. Clair and African American Policy Culture in Harlem », l’historien LaShawn Harris explique que Stéphanie St. Clair a utilisé le crime organisé et l’arène publique des rues pour affronter les réalités sociales, politiques et économiques des Afro-Américains. Connue à Harlem sous le nom de « Madame St. Clair » et de « Queenie » dans le reste de New York, Stéphanie St. Clair est devenue un phare de l’émancipation des Noirs grâce au succès de sa loterie clandestine.
« Elle avait environ 20 contrôleurs, 40 coursiers et était capable d’engendrer 250 000 dollars de bénéfices par an », raconte Queenzflip, un rappeur spécialiste de l’histoire des gangs aux États-Unis, dans son émission « Gangster Of All Time ».

Au-delà des emplois créés permettant à nombreux Harlémites d’accéder à la classe moyenne, St. Clair est également une ardente défenseuse des droits civils. Depuis sa résidence huppée de l’avenue Edgecombe à Sugar Hill, qui abrite l’élite noire de la Renaissance de Harlem, elle fait publier des pages entières de publicité afin d’informer les résidents noirs sur les brutalités policières, le droit de vote et les libertés civiles. Pour aider les immigrants francophones ayant besoin d’une éducation et d’offres d’emploi, elle fonde la French Legal Society.
Après un bref séjour en prison pour la tentative de meurtre de son mari Sufi Abdul Hamid, Stéphanie St. Clair consacre le reste de sa vie à la défense des droits afro-américains jusqu’à sa mort à New York en 1969.

*Photo de Une: Arlenechang, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
